Â
Définition du terrorisme
Â
Le premier texte, signé par Ariel Merari, se penche sur la définition de la notion de terrorisme politique. Ce texte avait déjà été publié dans un ouvrage de Gérard Chaliand paru en 1999. Il commence par exposer le résultat d'une enquête de deux chercheurs néerlandais de l'université de Leyde auprès d'une centaine d'universitaires et de fonctionnaires à qui ils avaient demandé leur définition du terrorisme. La violence figurait dans 83,5 % des définitions; 65 % d'entre elles mentionnaient des objectifs politiques, 51 % avaient pour "élément central" la peur et la terreur. Seules 21 % des définitions "mentionnaient l'arbitraire et les cibles prises au hasard" (p. 29).
Â
Les trois caractéristiques de base du terrorisme ainsi énoncées "ne suffisent pas pour établir une définition utilisable", car elles ne comprennent pas "les éléments qui permettraient de faire une distinction entre le terrorisme et les autres formes de conflits violents, telles la guérilla ou même la guerre conventionnelle" (p. 30). Le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki peut être considéré comme répondant à de telles définitions, "bien qu'à très grande échelle" (p. 31). L'histoire de la guérilla comporte également "de nombreux exemples de victimisation systématique des civils".
Mais si la définition du terrorisme peut s'appliquer à la guerre nucléaire, conventionnelle ou à la guérilla, "ce terme n'est plus qu'un simple synonyme d'intimidation violente dans un contexte politique" (p. 32) et perd donc de son utilité.
Â
Par conséquent, Axel Merari préfère retenir la définition du département d'Etat des Etats-Unis selon laquelle "le terrorisme est une violence préméditée, motivée politiquement, perpétuée contre des cibles non combattantes par des groupes nationaux marginaux ou des agents clandestins d'un Etat dont le but est généralement d'influencer un public" (p. 33). Cette définition s'éloigne de l'origine du terme, la période de la Terreur pendant la révolution française.
Â
Â
Antiquité
Â
L'article suivant, de Gérard Chaliand et Arnaud Blin, est consacré à la secte des Zélotes et à celle des Assassins, responsables successivement de "l'une des premières manifestations du terrorisme organisé", dont on ait des traces écrites.
Les Zélotes, décrits par Flavius Josèphe au premier siècle de notre ère, étaient une secte juive réformatrice qui rencontrait un grand succès dans la jeunesse en Palestine. En réaction à l'humiliation que provoqua chez les Juifs le recensement organisé par les Romains, qui mettait en évidence la domination qu'ils subissaient, ils organisèrent une lutte armée visant l'occupant ainsi que les membres de leur propre communauté qu'ils considéraient comme des traîtres ou qui ne pratiquaient pas leur religion de façon suffisamment rigoureuse à leurs yeux.
Â
Leur stratégie relativement élaborée comporta des assassinats de personnalités politiques et religieuses au moyen de dagues, en les surprenant dans la foule sur les marchés, cette technique inférant "qu'ils désiraient inspirer un sentiment de vulnérabilité à l'ensemble de la population". Ils s'attaquèrent également "aux dépôts où se trouvaient les archives, y compris tous les bons relatifs aux prêts, l'objectif étant de gagner le soutien des couches populaires qui croulaient sous les dettes" (p. 76).
Â
Bras militaire de la secte des Ismaéliens, les Assassins furent une secte musulmane agissant notamment en Syrie contre la domination turque des Seldjoukides à partir du XIIe siècle. Ses adeptes tuaient également leurs cibles à l'aide de dagues dans des lieux de prière ou des marchés.
Â
Ce type de secte est favorisé par une caractéristique de la religion islamique que l'on ne retrouve pas, selon les auteurs, dans la religion chrétienne, une forte imbrication entre les pouvoirs religieux et politique.
Â
Â
Les anarchistes
Â
Le chapitre écrit par Olivier Hubac-Occhipinti sur les terroristes anarchistes du XIXe siècle nous rappelle que le terrorisme n'est pas une pratique des seuls musulmans. Pour lui, ces terroristes, pourtant d'une extrême violence, bénéficient d'une "représentation positive", comme en attestent des citations d'Emile Zola évoquant leur "éternelle poésie noire" ou de Mallarmé qui parlait de "l'éclat décoratif" du dynamitage (p. 151) !
Â
Parmi les théoriciens de l'anarchisme, doctrine opposée à toute forme d'autorité y compris bien sûr religieuse, le premier "à se faire l'avocat d'actions violentes" sera Pierre Kropotkine (1842-1921), qui inventera la notion de "propagande par le fait" visant à réveiller la conscience populaire.
Â
Ces idées furent mises en œuvre par les anarchistes italiens qui organisèrent des attentats contre le roi et le président du conseil italien, avant d'assassiner le président de la République française Sadi Carnot en juin 1894, notamment pour venger la condamnation à mort du terroriste français Ravachol. Le roi d'Italie fut finalement abattu en juillet 1900, pour le punir d'avoir soutenu (et décoré) un général qui avait fait tirer sur la foule lors d'émeutes contre l'augmentation du prix du pain.
Â
Un terrorisme anarchiste se développa également en Espagne à partir des années 1930. De nombreuses attaques visèrent des couvents et des religieux, "accusés à tort ou à raison de tous les maux par le peuple" (p. 159).
Le terrorisme aveugle se manifestera surtout au cours de la dernière décennie du XIXe siècle, comme lors de l'attentat spectaculaire commis dans un théâtre de Barcelone en 1893, où un anarchiste lança deux bombes sur le public en représailles de l'exécution de l'assassin d'un général, provoquant plus de 20 morts.
Le terrorisme russe
Â
Pour Yves Ternon, l'auteur de l'article consacré au terrorisme russe de 1878 à 1908 dans l'ouvrage de Gérard Chaliand et Arnaud Blin que nous parcourons ici, les terroristes russes ne sont pas étrangers au brusque effondrement du régime tsariste en 1917, même s'ils n'en sont pas la cause directe.
Â
Selon lui, "l'axe central du terrorisme russe reste la lutte contre le despotisme de l'empereur". Les terroristes opposent "à la terreur d'Etat qui bénéficie d'une impunité totale" une justice immanente qu'ils exercent contre "ceux qui incarnent cette terreur et qu'ils condamnent comme bourreaux du peuple" (p. 177).
Â
Entre 1864 et 1866, les étudiants du cercle d'Ichoutine, qui ont créé une société secrète dénommée "Organisation", veulent provoquer une révolution sociale et considèrent que seule l'exécution du tsar permettrait d'y parvenir. Après une tentative d'assassinat d'Alexandre II qui échouera grâce à un paysan ivre qui passait par là et déviera le tir, la réaction sera violente et parviendra à extirper -provisoirement- de l'intelligentsia russe "les racines encore fragiles d'un mouvement révolutionnaire » (p. 183).
Â
C'est un autre groupe, NarodnaïaVolia (la volonté du peuple), lié au Parti social révolutionnaire dont il était au début une équipe de protection, qui réussira finalement à assassiner le tsar Alexandre II en février 1880 après une première tentative manquée en avril 1879.
Â
L'islamisme radical
Â
Le chapitre écrit par Philippe Migaux sur "les racines de l'islamisme radical" est extrêmement intéressant. Il décrit la naissance des groupes jihadistes au XXe siècle ,lorsque "le jihad va devenir une obligation cardinale de l'islam comme les cinq piliers" (p. 384). Un de ses concepteurs, Abdeslam Faraj, estime même que "le jihad constitue en fait le sixième pilier de l'islam". Il créera le groupe jihadiste "le plus déterminé d'Egypte", Al Jihad (au sens de guerre sacrée), et sera exécuté en avril 1982après que des militaires militants de son organisationont assassiné le Président égyptien Sadate.
Cet auteur consacre de nombreuses pages très instructives à ce qu'on appelle "la matrice afghane", une notion qui reviendra chez d'autres auteurs de l'ouvrage.  Il s'agit de la concentration de militants islamistes en provenance de différents pays - Saoudiens, Egyptiens, Yéménites, Algériens, Tunisiens, Indonésiens, etc.- qui partageront de nombreuses années de leur parcours de formation terroriste dans l'Afghanistan en lutte contre l'armée soviétique à la fin des années 1980, sous la direction d'un ancien combattant jordanien d'origine palestinienne de la guerre de 1967 avec Israël, et de son second, le Saoudien Oussama Ben Laden.
Â
Conclusion
Â
La place dévolue à cet article ne permet que d'effleurer une partie des différents sujets abordés dans l'ouvrage très riche de près de 800 pages que nous souhaitions présenter à nos lecteurs. Nous espérons leur avoir permis de réfléchir à la dimension historique du phénomène terroriste, et au fait qu'il n'implique pas que des musulmans. Pour le reste, nous renvoyons au livre lui-même ou un article ultérieur.
Â
Â
Â
Â