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De l'identité (flamande)

Banc Public n° 283 , Janvier 2020 , Catherine VAN NYPELSEER



Pour commencer l'année 2020, sans gouvernement belge depuis plus d'un an, Banc Public vous présente le livre écrit en néerlandais par le président de la NVA (Nieuw Vlaamse Alliantie) - le parti dominant actuellement en Flandre - Bart De Wever, intitulé "Over identiteit"(*). Puisque cet ouvrage n'est pas traduit en français et qu'il intéresse la politique belge, il nous a paru utile d'en donner un aperçu à nos lecteurs.


 

Les différents chapitres sont sobrement titrés:

 

Introduction – Ab urbe condita

I. Zijn is worden (Être est devenir)

II. Worden is streven ( Devenir est aspirer à)

III. En wie zijn we nu ? (Et qui sommes nous maintenant ?)

IV. Naar een groter wij ? (Vers un plus grand nous ?)

V. Waar een wij is, is een zij (Là où il y a un nous, il y a un eux)

VI. Een modern wij (Un nous moderne)

VII. Pleidooi voor een leidcultuur (Plaidoyer pour une culture dominante)

VIII. Slot (Conclusion)

 

Antiquité

 

Fidèle à sa réputation (il est historien et fait un usage remarqué des citations latines dans sa communication politique), M. De Wever introduit son essai par un rappel synthétique de la manière différente dont les Grecs puis les Romains accordaient la citoyenneté de leurs cités.

 

Pour les Grecs, c'était très simple: il y avait des Grecs, et des barbares. Qui n'était pas Grec, était un barbare. Pour être Athénien, il fallait être né en Attique de parents grecs. On ne pouvait pas devenir Athénien, "aussi dur que l'on fasse de son mieux" (p. 7). Les étrangers qui demeuraient à Athènes le pouvaient seulement moyennant le payement d'un impôt, le metoikon.

 

Il s'agissait d'une acception très simple mais stricte et étroite, possible uniquement en vertu de la petite échelle de la vie dans les villes-États.

 

Les Romains avaient à l'origine la même conception. Mais du fait de l'extension de la petite ville agraire de province au cours de l'histoire à l'ensemble du monde méditerranéen, il devint difficile de persister à soutenir que seul celui qui, par hasard, était né à Rome était Romain. Les Romains évoluèrent donc vers une intetprétation inclusive de l'identité, liée à la citoyenneté : par ses mérites, on pouvait devenir Romain.

 

Bart De Wever relate le célèbre discours de l'empereur Claude en 48 après J-C devant le Sénat romain, plaidant pour l'extension de la citoyenneté romaine aux Gaulois, dont le territoire faisait déjà partie de l'empire romain depuis un siècle. Face aux objections racistes, il rappela la liste des peuples que Rome avait déjà incorporés dans le passé, parce qu'ils s'étaient mélangés aux Romains en termes de normes et de valeurs, de culture et de mariages. Selon Claude, la conception exclusive de l'identité grecque conduisait à la stagnation culturelle et au déclin. Si Rome ne voulait pas subir ce sort, elle devait s'adapter à une nouvelle réalité et se rendre résistante pour l'avenir, dans le respect de la tradition... La seule solution était une citoyenneté "inclusive et ouverte", qui offrirait une base pour absorber l'énorme diversité culturelle de Rome dans un système global. Le Sénat suivit cette proposition de mauvaise grâce.

 

Pour Bart De Wever, ce que Claude a fait n'était pas exceptionnel, c'était le processus de régénération culturelle que Rome subirait encore de nombreuses fois, et avait déjà subi de nombreuses fois.

 

Communautés

 

Les communautés sont confrontées avec une nouvelle réalité, cherchent des stratégies pour gérer cette réalité et se retrouver elles-mêmes. Les problèmes avec lesquels l'empereur Claude luttait ne diffèrent pas essentiellement des défis qui nous adviennent dans un monde globalisé, qui nous confrontent avec une question séculaire : qui sommes-nous réellement ? C'est la question de la relation entre l'individu et les communautés dont il ou elle est membre. La question de comment ces communautés se voient et se positionnent dans le monde. Et finalement la question de savoir comment ces communautés sont en relation avec d'autres communautés.

Selon De Wever, c'est le genre de questions sur lesquelles il a passé toute sa vie d'adulte à se "casser la tête", parce qu'elles touchent au cœur de son engagement politique (p. 11).

 

Au chapitre suivant, il développe : les communautés forment, pour beaucoup d'entre nous, un chez-soi, où nous nous sentons à l'abri et où nous nous savons en sécurité. Les communautés dont nous sommes membres déterminent la manière dont nous voyons le monde et nous-mêmes (p. 17).

 

Si la première communauté est la famille – dont le nom est une caractéristique importante –, au fur et à mesure que l'on avance en âge, nous devenons membres de plus en plus de communautés, dont la taille augmente également. A un certain moment, dès l'école secondaire, il devient impossible de connaître personnellement chaque membre de la communauté en question, et l'on passe de communautés "face-to-face" à des communautés imaginées, dont la plupart des membres ne se connaissent pas personnellement et ne se rencontreront probablement jamais, mais qui peuvent cependant reconnaître comme un autre membre chaque membre de la communauté.

 

Locuteur flamand

 

L'exemple qu'il donne d'une telle reconnaissance est significatif :

se trouvant en vacances sur une plage catalane, on entend soudain derrière soi quelqu'un réprimander ses enfants avec un accent ouest-flamand. Sans l'avoir jamais rencontré, on sait immédiatement que c'est un Famand, et d'où il vient. Et même si vous ne cherchez sur le moment pas de contact avec l'intéressé, ou si sa tête ne vous revient pas, vous sentez tout de même "une connexion" malgré vous.

 

Changements d'identité

 

Une identité individuelle appartient à chaque individu personnellement, et il peut la modifier à n'importe quel moment : par exemple en faisant son "coming out" en tant qu'homosexuel. Une telle modification peut entraîner des frictions parce que l'environnement social y réagira de façon positive ou négative.

 

Des caractéristiques jadis immuables comme "le sexe, la race, ou l'âge" peuvent être aujourd'hui redéfinies, grâce aux "innovations technologiques dans la science médicale" (p. 20).

 

Il en va autrement des identités collectives : un individu ne peut jamais les redéfinir seul. Il peut seulement contribuer au processus de leur redéfinition, sans pouvoir le contrôler.

Il en résulte que les identités collectives sont moins dynamiques, mais plus robustes et résistantes contre les tendances et les modes transitoires.

 

Une identité collective évolue continuellement, mais dans un processus qui peut prendre des années ou même des décennies. Une identité individuelle peut changer radicalement sur un intervalle de quelques semaines.

 

Il est cependant très difficile d'échapper à une identité collective, aussi fort que l'on puisse le souhaiter. Même si le lien avec une communauté particulière est devenu très sommaire, les processus de socialisation et de culture qui influencent l'individu sont très têtus. On peut les fuir, les cacher, les nier, mais on ne peut jamais totalement y échapper. On ne peut pas se trainer soi-même hors du marais en se tirant par ses propres cheveux, comme le baron de Münchhausen l'avait fait dans un de ses nombreux récits de bataille contre les Ottomans au XVIIIe siècle.

 

Les identités, aussi bien individuelles que collectives, sont des données dynamiques, soumises à un changement continuel.

 

Identité européenne

 

Selon M. De Wever, l'identité européenne se serait historiquement définie par opposition à l'Islam.

L'emploi du mot "européen" pour indiquer une civilisation distincte serait apparu pour la première fois dans les chroniques de la bataille de Poitiers, où Charles Martel arrêta en 732 l'invasion islamique en provenance d'Andalousie : on peut y lire qu'une armée "européenne" repoussa l'invasion des "Maures".

 

C'est donc pour lui l'islam qui a réellement donné la conscience de soi à l'Europe. À ce moment-là, le monde islamique était non seulement beaucoup plus étendu, mais également en avance dans les domaines culturels et scientifiques.

Cette identité européenne s'est définie avec le lien le plus fort qui liait encore tous les peuples européens – culturellement très divers - depuis la chute de Rome : le christianisme (p. 35).

 

La notion de Belge

 

Les identités peuvent être multiples. Un individu peut, sur la base des mêmes conditions objectives, faire le choix de se considérer comme membre de différentes communautés d'identité. Il peut s'affirmer un Flamand, ou un Belge. Ou les deux. Ou aucun des deux. Ce n'est pas problématique : la plupart des Flamands s'identifient sans problème comme Flamand et Belge, et ne voient pas de contradiction entre les deux.

 

Cette identité peut être complexe: Bart De Wever se souvient d'une amie, à l'époque où il était étudiant, qui avait voyagé en Espagne et raconté ses aventures quelques semaines plus tard. Elle mentionna que, dans son hôtel, à côté des Belges il y avait aussi des Allemands, des Hollandais, des Anglais et... des Wallons. C'était, sans arrière-pensée politique, la pure traduction spontanée de la pensée identitaire complexe dans ce pays (p. 51).

 

Ingrédients d'une communauté

 

La communauté doit évidemment avoir un nom : pour être une communauté, un groupe de personnes doit se nommer comme telle.

 

Ensuite, il faut un passé commun, ou mieux : l'idée qu'on partage un passé commun les uns avec les autres. En effet, le contenu de ce récit ne correspond pas nécessairement – et même rarement – avec la réalité historique. Il s'agit plutôt de mythes (de fondation) que chaque groupe possède, sous l'une ou l'autre forme. La fonction de ces récits n'est pas d'être historiquement correcte, mais bien d'être un miroir. En projetant le présent sur ce passé imaginaire, les membres du groupe définissent qui ils veulent actuellement être ensemble.

 

Toutes les communautés ont un territoire, un lieu que les membres du groupe considèrent comme leur foyer. Pour une nation, c'est un morceau de terre qui lui a été abandonné par l'histoire. Pour une religion, ce sont des sanctuaires ou des lieux sacrés. Pour un groupe d'amis, ce peut être un café favori, pour une équipe de football le terrain, pour une famille sa maison...

 

Enfin, les membres de la communauté partagent un cadre de référence culturelle : par exemple, ils parlent la même langue, lisent les mêmes journaux, regardent les mêmes chaînes de télévision (pp. 48-49).

 

Sécularisation

 

Nous vivons dans une société sécularisée. Pour nous en convaincre, Bart De Wever met en exergue à l'entame de son 7e chapitre "Pleidooi voor een leidcultuur" la commotion causée par la lecture d'un extrait de la Bible lors d'une messe dominicale, juste avant l'émission "De zevende dag" sur la VRT, le dimanche 26 août 2018.

 

L'extrait en question énonçait: "Femmes, soyez soumises à votre mari comme au Seigneur. Car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l'Église. Il est aussi le sauveur de son corps, mais comme l'Église est soumise au Christ, que les femmes soient soumises en tout à leurs maris" (p. 111).

 

La tempête médiatique ne se fit pas attendre, et les ministres et figures médiatiques "roulèrent les unes sur les autres pour hurler leur "indignation": comment un tel passage pouvait-il encore être lu au XXIe e siècle ? Finalement, un évêque anversois dut, dans l'émission Terzake, remettre dans leur contexte les mots de Paul.

 

Cela n'élimine pas le fait que les valeurs chrétiennes sont encore toujours dominantes dans notre culture: l’amour du prochain, le pardon, la dignité humaine... sont des notions chrétiennes. Mais c'est une morale chrétienne sans Dieu. Nous pouvons encore adhérer aux valeurs, mais pas au Dieu qui les accompagnait. Nous avons besoin d'un nouveau code source pour nous retrouver en tant que communauté. Sans ce code source, nous ne pouvons pas parler les uns avec les autres, parce que nous avons trop peu de cadre de référence commun (p. 115).

 

Conclusion

 

Pour Bart De Wever, l'identité collective est un instrument nécessaire pour atteindre le développement maximal de la personne, pour maintenir les valeurs fondamentales d'une communauté culturelle dynamique et saine.

 

Sans surprise, "c'est la communauté culturelle flamande qui est aujourd'hui le cercle le plus relevant dans lequel nous pouvons éprouver notre identité collective. Notre identité nationale est flamande. Mais elle peut chérir l'ambition de devenir à terme européenne" (p. 145)

 

 

 

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(*) "Over identiteit"

Bart De Wever

Éditions Borgerhoff & Lamberigts NV

Avril 2019

150 p – 19,99 €

 
     

     
   
   


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