Terre des pandémies

Banc Public n° 289 , Mars 2021 , Catherine Van Nypelseer



Alors que notre univers médiatique et nos vies quotidiennes sont littéralement envahis par la pandémie du Covid-19, la réflexion sur les causes d’émergence de cette nouvelle maladie est étonnamment absente du débat. On se pose certes la question de ce qui a bien pu se produire, mais seulement de manière anecdotique : quel animal en a été le vecteur, ou quelle erreur de laboratoire ?

 

 

Le tout nouveau livre « La fabrique des pandémies » (*) de la journaliste Marie-Monique Robin (auteure notamment du célèbre « Le Monde selon Monsanto »), constitué sur la base d’entretiens avec des scientifiques du monde entier, apporte des réponses structurelles à cette interrogation fondamentale. Les mécanismes sont connus, ainsi que ce qu’il faudrait faire pour y mettre fin;

si nous n’y parvenons pas, ils prévoient de nouvelles pandémies, de plus en plus fréquentes.

 

Déforestation

 

Au mois de juin 2020, Serge Morand, chercheur au CNRS, écologue évolutionniste et parasitologue de terrain installé au Laos, contacte Marie-Monique Robin pour lui annoncer qu’il vient « de confirmer un truc de dingue ! » : en préparant la publication d’un article montrant « les liens entre la déforestation et l’émergence de maladies infectieuses zoonotiques », il a comparé les données spatiales et temporelles des maladies infectieuses émergentes et de la déforestation et il a découvert que celles-ci sont corrélées. « En d’autres termes : les épidémies zoonotiques ont principalement lieu là où on déforeste. » (p. 64)

 

Une scientifique étatsunienne, vétérinaire et écologue, Nicole Gottdenker, qui dirige un laboratoire de pathologie vétérinaire à l’université de Georgie, confirme cette analyse : « La déforestation constitue le premier facteur d’émergence des maladies zoonotiques » (p. 66). Ce constat se fonde sur des approches théoriques - modélisations et simulations informatiques – ainsi que des études de terrain. Elle explique les mécanismes à l’œuvre : « Quand on détruit totalement ou partiellement une forêt tropicale, on bouleverse profondément la diversité et le comportement des communautés animales qui y habitent. Par exemple, cela entraîne la disparition des grands prédateurs, comme les jaguars, qui maintenaient en équilibre les mammifères plus petits, dont certains sont de bons réservoirs pour les pathogènes et qui du coup prolifèrent. » (p. 67)

 

Animaux domestiques

 

« Les animaux domestiques associés aux humains depuis très longtemps jouent un rôle central dans la transmission de pathogènes issus de la faune sauvage vers les humains.» (p. 81)

Les élevages intensifs jouent un rôle très important, parce que les animaux qu’ils regroupent dans une très grande proximité (sans ‘’distanciation sociale’’ ! ) sont quasiment des clones génétiques uniformes.

 

Par ailleurs, une fois que le virus s’y est introduit et a prospéré, il peut ensuite voyager sur de grandes distances avec les animaux lorsqu’on les déplace.

 

Biodiversité

 

A première vue, il s’agit d’un paradoxe : d’après les cartes consultées par Serge Morand, comme celles établies par le chercheur étasunien Michael Gavin, « plus de biodiversité signifie plus de pathogènes ». Il ajoute directement que « moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses » !

 

Les mécanismes qui expliquent ces résultats expérimentaux s’articulent en deux branches :

- la fragmentation ou la destruction des habitats naturels favorise des contacts nouveaux entre les animaux sauvages et les humains ;

- la diversité des espèces animales joue un rôle de tampon pour la propagation des agents pathogènes.

 

L’effet dilution

 

Un chapitre du livre est consacré à cette notion, encore qualifiée d’hypothèse.

On distingue deux types d’espèces :

- les espèces ‘’spécialistes’’, adaptées à un type d’habitat particulier et « qui ont besoin de ressources alimentaires spécifiques », qui ont une espérance de vie très longue ; 

- les espèces ‘’généralistes’’, « capables de s’adapter à des environnements très différents et de se nourrir avec une grande diversité d’aliments », qui ont une espérance de vie plus courte et une grande fécondité.

 

« Quand les écosystèmes sont perturbés, les espèces ‘’spécialistes’’ disparaissent au profit des ‘’généralistes’’ ».

 

Une étude de James Hill montre ainsi par exemple que « les rongeurs qui ont été identifiés comme réservoirs des virus provoquant le syndrome pulmonaire à hantavirus et les fièvres hémorragiques sont précisément des espèces généralistes, qui se mettent à proliférer quand leurs cousins spécialistes ont disparu, notamment du fait de la compétition pour la nourriture. Le résultat est une augmentation de la transmission du virus dans la population hôte qui est plus abondante et un risque accru pour les humains.» (p. 135)

 

On peut donner un exemple de l’effet dilution avec la prolifération des moustiques transmettant un virus de  ‘’polyarthrite épidémique’’ en Australie : « à force de réduire la biodiversité animale dans les espaces agricoles, où il ne reste que des marsupiaux et du bétail, on a augmenté considérablement la probabilité que les moustiques infectent un humain.» (p. 268)

Moustiques qui prolifèrent d’autant plus dans les mares et étangs qu’il n’y a plus de prédateurs pour dévorer leurs larves en raison de la pollution de l’eau par les activités agricoles…

 

L’abandon de la barrière des espèces

 

Selon Daniel Brooks, biologiste de l’évolution, l’ancienne théorie dominante selon laquelle « l’association hôte-pathogène est tellement stable au fil du temps qu’elle rend l’émergence de nouvelles maladies improbable, car pour cela il faudrait que survienne de façon aléatoire la bonne mutation génétique » est aujourd’hui remise en question.

 

En effet, « dans des circonstances de bouleversement écologique, comme un épisode de changement climatique », « les agents pathogènes ont […] la capacité d’acquérir de nouveaux hôtes rapidement ». Les microbes « se déplacent, diversifient leurs hôtes et augmentent leur aire de distribution ». (p. 233)

 

La fonte du pergélisol

 

Un autre facteur lié au réchauffement climatique est la fonte du pergélisol arctique, jadis censé être éternellement gelé.

Lors d’un colloque en 2019, le docteur William Bower a relaté qu’en août 2016, en Sibérie, la température a atteint un record de 37° au lieu des 17° habituels ; cela a provoqué la décongélation d’un renne infecté par la bactérie Bacillus anthracis, l’anthrax. Des dizaines de personnes ont été hospitalisées et un jeune garçon de 12 ans en est décédé (ainsi que plus de 2.300 rennes).

 

Les actes de ce colloque « font… froid dans le dos » :

- « une équipe de chercheurs a exhumé des fragments de peau et des poils d’un mammouth congelé […] dans lesquels ils ont identifié quatre nouveaux virus » ;

- « des dépouilles humaines ensevelies sous la glace depuis plusieurs milliers d’années ont permis d’isoler un ancien virus de l’hépatite B ». (pp. 235-236)

 

Marie-Monique Robin pose donc la question glaçante : « Qu’en est-il des virus et autres bactéries qui dorment sous le manteau de glace depuis des millions d’années, contre lesquels l’humanité n’a aucune immunité ? »

 

Le cas particulier de l’Afrique

 

Revenons à la pandémie de coronavirus : Marie-Monique Robin signale dans son livre un élément interpelant : une des causes du fait qu’en Afrique, le nombre de décès dus à la pandémie soit dix fois moindre que l’on ne le craignait pourrait notamment être ­ -outre la compétence des services de santé accoutumés à détecter et limiter la propagation de nouvelles maladies - le rôle des infections par des parasites intestinaux, ou ‘’helminthiases’’, qui pourrait « expliquer le faible impact de la covid-19 en Afrique ».

 

En effet, « la caractéristique du SARS-CoV-2 est de déclencher une forte réponse inflammatoire. Les helminthes inhibant cette réponse, on peut parfaitement imaginer […] qu’ils limitent grandement l’impact du virus ». (pp. 199-200)

 

Ces parasites « ont développé au cours de leur coévolution avec les humains des mécanismes qui leur permettent de manipuler le système immunitaire de leur hôte afin d’assurer leur survie » : ils sécrètent des protéines qui bloquent l’action des lymphocytes chargés de les exterminer. (p. 194)

Ces mécanismes peuvent également expliquer la prévalence nettement moindre d’allergies.

 

Gaël Maganga, un virologue gabonais, évoque également l’hypothèse d’une « immunité croisée » :

Il a identifié chez des chauves-souris gabonaises plusieurs coronavirus qui sont très proches génétiquement de certains coronavirus humains ; selon lui, il est possible « qu’en zones rurales, les populations qui chassent et consomment les chauves-souris aient acquis une immunité partielle, y compris à travers leurs animaux domestiques, qui ne sont jamais parqués et peuvent donc entrer en contact avec des chiroptères aux lisières des forêts ». (pp. 200-201)

 

Film

 

La diffusion auprès d’un large public de cette mine d’informations originales, permettant enfin une réflexion sur les causes de la pandémie, et donc les moyens d’en éviter d’autres, sera certainement facilitée par le projet de son auteure - également réalisatrice de documentaires - d’en réaliser une version sous forme de film, pour lequel un bulletin de souscription de soutien se trouve à la fin de l’ouvrage.



Catherine Van Nypelseer

     
 

Biblio, sources...

(*) LA FABRIQUE DES PANDEMIES

Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire

Par Marie-Monique Robin (avec la collaboration de Serge Morin)

Editions La Découverte

Février 2021

343 p – 20 €

 
     

     
 
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