$startRow_categb = $pageNum_categb * $maxRows_categb; ?> Analyse et critique de la loi modifiant le Code pEnal en ce qui concerne le droit pEnal « sexuel » approuvée à la chambre le 17 mars 2022 (II)
Analyse et critique de la loi modifiant le Code pEnal en ce qui concerne le droit pEnal « sexuel » approuvée à la chambre le 17 mars 2022 (II)

Banc Public n° 297 , Septembre 2023 , FAcES



Nous avons publié dans notre livraison de juin (voir BP, n°296) la première partie du document établi dans le cadre du réseau FAcES, réseau des Asso­ciations féministes contre les exploi­tations sexuelles, et daté du 28 mars 2022.


 

 

 

Nous publions ci-dessous la seconde partie du document.

 

Conformément à nos conventions typographi­ques, le texte est reproduit sans ses marques d’écriture dite inclusive.

 

5. La facilitation de la publicité pour la prostitution

 

L’infraction de publicité pour la prostitution (art. 433/quater/2) (34) doit également être examinée.

 

Le paragraphe 2 dudit article, qui énonce selon quelles exceptions la publicité pour la prostitution est autorisée, a été modifié au sein de la dernière version du projet de réforme.

 

La publicité pour prostitution sera autorisée dans deux cas.

 

La première hypothèse vise les cas prévus par la loi. A nouveau, le législateur se réserve le droit d’adopter des législations ultérieures qui permet­traient la publicité pour la prostitution. Notre critique développée précédem­ment concernant l’insécurité juridi­que que ce type de disposition crée s’applique à nouveau.

 

La deuxième hypothèse visée requiert la réunion de certaines conditions cumulatives :

● lorsqu’elle se limite à la publicité pour ses propres services à caractère sexuel;

● lorsque la publicité pour les services sexuels d’un majeur ou pour un lieu dédié à la fourniture de services sexuels par des majeurs, est effectuée sur une plateforme Internet ou un tout autre support spécialisé à cet effet;

● lorsque le fournisseur d’une plateforme Internet ou de tout autre média peut démontrer qu’il a fait tous les efforts raisonnables pour éviter les abus de la prostitution et la traite des êtres humains, et qu’il signale immédiatement les soupçons d’abus ou d’exploitation aux services de police et autorités judiciaires.

 

Concernant la première condition, il faut avoir à l’esprit que, dans la majorité des cas de traite des êtres humains, la publicité est déclarée comme étant relative « à ses propres services à caractère sexuel ».

 

Nous nous interrogeons, en outre, sur la portée de la deuxième condition. Il apparait, selon l’avis du Conseil d’état rendu le 3 février 2022 (35), que « la publicité dans un support destiné au public en général, tel qu’un journal ou une revue (générale) hebdomadaire ou mensuelle, pourrait également être admise, pour autant que cette publicité figure dans une rubrique spécifique dans un tel support » (36). Cet élément nous semble alarmant puisque cela signifie que n'importe quelles personnes, y compris des mineurs, pourraient être confrontées à ce type de publicité.

La troisième condition nous pose également question. De quelle manière considérera-t-on que le fournisseur ou le média a effectivement rempli la tâche qui lui incombait de déployer tous les efforts raisonnables pour éviter que ne surviennent des abus de la prostitution ou de la traite des êtres humains ?

 

6. La création d’un droit sur l’image du corps des mineurs et des femmes

 

Le projet de réforme du code pénal a institué une nouvelle cause de justification se rapportant à la réalisation consensuelle, la possession et la transmission mutuelle de contenus à caractère sexuel. L’article 417/49 énonce qu’« il n’y pas d’infraction lorsque des mineurs de plus de seize ans réalisent leurs propres contenus à caractère sexuel avec leur consentement mutuel, s’envoient ce contenu à caractère sexuel et les possèdent. Le consentement mutuel est nécessaire pour la réalisation, la possession et la transmission mutuelle de ces contenus» (37).

 

Cette nouvelle cause de justification pose problème. Dans le cas où une victime n’a pas consenti à la réalisation et/ou la possession de ces contenus à caractère sexuel, comment pourrait-elle effectivement apporter la preuve de son non-consentement ?

 

Étant donné que ces images et enregistrements à caractère sexuel se rapportent, dans une écrasante majorité de cas, aux corps des jeunes filles et des femmes (38), la création de cet article risque d’avoir un effet pervers en instituant une sorte de droit à l’image sur leurs corps en ne permettant pas de protéger les victimes efficacement. Ce constat est drama­tique étant donné que certains de ces cas de figure conduisent les victimes à mettre fin à leurs jours (39).

 

7. Un impact différencié sur les femmes et les hommes

 

Une législation respectueuse des femmes se doit d’être pensée au départ de la situation des victimes (40), afin qu’elles puissent, au plus possible, être protégées par la loi et obtenir justice des violences et traumatismes subis (41). L’étude de ce projet de réforme révèle, en revanche, que la logique adoptée est toute autre. En effet, il apparait que c’est essentiellement à partir du point de vue des auteurs que cette loi a été construite, les victimes étant reléguées au tout dernier plan.

 

Ce constat s’impose d’autant plus après la lecture de l’analyse de l’impact supposé de la loi sur les femmes et les hommes réalisée par le gouvernement en juillet 2021. Ainsi, selon ce dernier, la loi aurait un impact positif sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

Parmi les arguments invoqués pour le justifier, il est avancé que la neutralité de genre dans la formulation des incriminations viendrait promouvoir l’égalité de genre (42). Un comble quand on sait qu’il est justement absolument nécessaire d’adopter une législation genrée afin de se conformer au texte de la convention d’Istanbul et donc, de protéger les victimes. Le GREVIO a justement dénoncé cette neutralité. Selon le groupe d’experts, « la neutralité dont fait preuve la Belgique en matière [de violences faites aux femmes] est soulignée comme dangereuse (…) : elle peut conduire à des lacunes dans la protection et le soutien des femmes » (43).

 

Le gouvernement base également son argumentaire sur le fait que certaines dispositions ont été modifiées afin de tenir compte des hommes victimes (dans le cas de l’infraction de viol, par exemple) (44). Si effectivement ces situations doivent être prises en compte juridiquement, comment peut-on soutenir que l’égalité entre les genres sera promue de cette façon alors même que dans 98% des cas, les auteurs des violences sexuelles sont des hommes (45) ? Ces chiffres semblent, au demeurant, totalement méconnus par le gouvernement, qui a affirmé que la composition sexuée des auteurs/victimes n’est pas connu (46). En outre, toujours selon lui, il n’existerait pas de différence entre la situation respective des femmes et des hommes dans la matière des violences sexuelles (47). Sidérant.

 

Nous rappelons que le législateur, avec ce genre de texte juridique et d’argumentaire, viole de façon flagrante ses obligations internatio­nales imposées par la convention d’Istanbul. Cette dernière impose, en effet, au sein de son article 18, point 1, que les États signataires prennent des mesures législatives ou autres néces­saires qui soient fondées sur une compréhension basée sur le genre de la violence à l’égard des femmes.

 

Conclusion

 

Si une réforme du code pénal dit « sexuel » était nécessaire afin de se conformer aux évolutions sociétales, cette loi nie toutefois complètement les situations des victimes et les difficultés que celles-ci sont amenées à rencontrer tout au long de leur parcours procédural. Cette réforme, qui est donc contraire, non seulement au texte contraignant de la convention d’Istanbul, mais aussi à la réalité de terrain des situations vécues, constitue un véritable retour en arrière en ce qui concerne les droits des mineurs et des femmes. Elle aura donc des conséquences graves sur la vie de la moitié de la population, telles que le renforcement de l’impunité dont jouissent les auteurs et donc une diminution du nombre de condam­nations qui, rappelons-le, s’élèvent au chiffre minime de 4% dans les affaires de violences sexuelles (48).

 

Au vu de l’ensemble des éléments exposés ci-avant et des répercussions qu’engendra l’application d’une telle réforme, nous exigeons l’abrogation de cette loi modifiant le code pénal en ce qui concerne le droit pénal dit « sexuel » approuvée à la Chambre le 17 mars 2022 et qu’une réflexion soit menée par les députés afin d’envi­sager, de manière collaborative avec les experts concernés, une réforme qui tienne compte de la situation des victimes et qui soit respectueuse des dispositions législatives internationa­les.

FAcES

     
 

Biblio, sources...

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(34) Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 23 décembre 2021, n°2141/007, pp. 36 et 37.

(35) Avis 70.817/3 du Conseil d’État section de législation du 3 février 2022 sur un projet de loi « modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel ».

(36) Avis précité, p. 12.

(37) Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 23 décembre 2021, n°2141/007, p. 26.

(38) BELGA, «L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes enquête sur le « revenge porn », disponible sur https://lameuse.sudinfo.be/803311/article/2021-06-29/linstitut-pour-legalite-des-femmes-et-des-hommes-enquete-sur-le-revenge-porn, 29 juin 2021.

(39) J. Parmentier, « Mieux armé contre le revenge porn ! », disponible sur https://www.lexgo.be/fr/articles/ip-it-telecom/droit-de-l-informatique/mieux-arm-contre-le-revenge-porn,136550.html, 27 mai 2020.

(40) Convention d’Istanbul, précitée, art. 7, point 2.

(41) Convention d’Istanbul, précitée, art. 5, point 2.

(42) Projet de loi modifiant le code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, analyse d’impact intégrée, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 125.

(43)

 
     

     
   
   


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